13 févr. 2011

Au delà de la raison, la conscience

Nous sommes de plus en plus reliés avec le reste du monde grâce, en particulier, à Internet. Nous recevons de multiples informations contradictoires ou complémentaires qui nous plongent dans plus de complexité mais aussi dans la perplexité… L’approche rationnelle, logique et analytique, qui se révélait adaptée pour comprendre le monde et agir de façon adéquate, semble aujourd’hui bien lente face à l’accélération des opportunités que rencontre chaque être humain dans sa vie. Les choix proposés et les décisions à prendre se succèdent à une fréquence de plus en plus rapide et nécessitent d’autres ressources que la seule raison. Des millions d’années ont été nécessaires dans l’évolution de l’individu pour qu’émerge cette capacité rationnelle. La raison a permis « le premier miracle », comme l’appelle Richard Moss : l’être humain a réussi à s’extirper du monde dont il fait partie pour l’observer et tenter de le comprendre et de le maîtriser. Par la pensée et le langage particulièrement, il a appris à anticiper, construire ; il est devenu un être pensant, capable de dire JE. Dans notre culture occidentale, l’enfant est nourri, depuis sa tendre enfance à l’approche rationnelle : on lui « explique » le monde et on lui demande de justifier ses actes. Le « Pourquoi » est venu remplacer le « C’est comme ça, obéis et tu comprendras plus tard » et a favorisé la réflexion individuelle et non plus uniquement l’obéissance.
Mais, du coup, ces pensées qui nous habitent ne nous laissent aucun répit : elles ne cessent de commenter nos instants de vie, les comparent avec des moments du passé, en mesurent les conséquences possibles sur l’avenir… Elles nous empêchent de goûter, simplement l’instant présent, avec nos sens. Face à un monument historique, nous nous concentrons plus ce qu’en dit le guide touristique (dates et méthodes de construction, fonction du monument…) que sur ce que nous ressentons.
Nos savoirs s’insèrent comme un écran et filtrent notre perception, nous empêchant de percevoir et de ressentir de façon subjective le monde dans lequel nous sommes imprégnés. Nous nous vivons comme séparés de notre environnement et des autres et notre vision du monde se recroqueville et s’assèche, nourrissant ainsi le sentiment de solitude et de pessimisme si présent dans notre société occidentale.
Il est temps de passer au deuxième « miracle » : après ce mouvement de distanciation qui a permis de dire Je et de se différencier du monde pour mieux l’observer, on peut à présent entrer en relation avec l’extérieur, de façon plus consciente et sans perdre sa singularité.
Il ne s’agit pas de lutter contre ces pensées parasites qui semblent avoir pris le contrôle de notre mental et réduisent notre relation au monde de façon. Il s’agit plutôt de remettre l’approche rationnelle à sa juste place, comme une des façons d’entrer en relation avec le monde et de porter plus son attention et son crédit à ses sensations, ses émotions et ses intuitions autant qu’à ses réflexions. En réintégrant ces quatre dimensions, qui correspondent aux quatre profils psychologiques définis par C. G. Jung, on inclue la raison dans une conscience plus large de soi-même et du monde.
Crédit photo de l'en-tête: "la conscience", sculpture de Simone Peirac

De la fusion à l'Union en passant par le Moi

La relation est au cœur de nos vies. En premier lieu, notre venue sur terre est le fruit de la relation entre une femme et un homme. Puis, notre survie et notre développement dépend de la capacité de notre entourage à nous aimer et nous protéger. Nourris par ces relations premières, nous partons en quête de rencontres qui nous permettent d’évoluer, de transmettre et de donner vie à notre tour. Et enfin, si notre mort signe la disparition du Moi incarné, elle peut également être vécue comme une reliance profonde avec ceux qui sont dans l’au-delà et avec le Soi.
Le développement relationnel s’inscrit dans un mouvement global qui part de la fusion pour aller vers l’union, c’est à dire de la relation aux autres indifférenciée vers la relation aux autres consciente. Le passage de la fusion à l’union nécessite, en premier lieu, la construction d’un Moi qui s’extrait de la matrice originelle pour dire JE et s’interroger sur où il se trouve… C’est le premier miracle dont parle Richard Moss : la capacité de l’humanité à se penser et à penser le monde.
Cette étape est essentielle parce qu’on ne peut observer le fleuve dans lequel on se baigne mais elle est également éprouvante parce qu’elle introduit la dualité et donc la séparation. L’apparition de l’individualité conduit les êtres humains à se percevoir et se vivre comme des êtres séparés les uns des autres mais également coupés de leurs origines et du sens de la vie. L’être humain se retrouve alors en proie avec une sensation de solitude, de perte de sens, de méfiance envers la vie et les autres. Le Moi qui se construit ne veut pas mourir et se transforme en Ego qui défend son bout de gras, se rétracte et se crispe. Cette crispation entraîne la souffrance : le monde se rétrécit, on s’attache, on a peur de perdre ses acquis ou de ne pas obtenir ce que l’on veut et l’on passe à côté de la vie qui s’incarne à tout instant de façon nouvelle propice à l’émerveillement.
Or, cette construction du Moi n’est pas une finalité mais juste une étape de développement de conscience. L’étape qui suit tout naturellement consiste à se relier aux autres de façon consciente : « Je » n’est pas là pour être le meilleur et s’approprier les biens de la terre aux détriment des autres, « Je » est là pour s’unir aux autres dans une danse où chacun a sa place, dans une symphonie où chaque instrument a son morceau à jouer. Pour qu’émerge cette intelligence collective qui dépasse, transforme et relie les individus séparés, il est nécessaire que chacun ouvre à nouveau ses bras et renonce à vouloir être supérieur, dominer et gagner contre l’autre !
L’union, c’est la relation en conscience. Grâce à la construction d’un Moi séparé et autonome, nous pouvons retourner conscients dans cet espace paradisiaque de la fusion et la transformer en union. Mais c’est aussi ce Moi qui nous freine, car, pour cela, il doit se sacrifier.
Dans cet espace d’union, le Moi n’existe plus comme entité séparée, seule reste la conscience. Si le Moi accepte de se sacrifier, (c’est le fameux lâcher-prise dont on parle tant dans le développement personnel et spirituel…), alors on entre dans un espace extatique où les relations avec les autres humains deviennent fluides et nourrissantes. On devient des « anges gardiens » les uns pour les autres, et l’autre ne peut plus être un ennemi car il fait partie du même puzzle, de la même chorégraphie, de la même symphonie.
Au delà des relations entre nous, il s’agit bien de la relation au Divin ou au Soi, de la relation entre le Moi et le Soi. Ce lâcher prise et cette réceptivité nous font entrevoir que l’endroit où nous allons est le même que celui d’où nous venons, mais en ayant acquis la connaissance de ce que nous sommes. Dès lors que le Moi voit et reconnaît cette évolution, Le Moi peut mourir puisque la conscience est là. Le silence de la mort dans lequel nous retournons et le même que celui qui précédait notre naissance : le silence de paix, d’infini et d’éternité. Un espace où nous sommes tous reliés au delà du Moi.

Nous avons tous la responsabilité d'évoluer...

« Nous faisons toujours du mieux que nous pouvons ». Cette acceptation de soi est l’un des quatre accords toltèques énoncés par Don Miguel Ruiz. L'empathie envers soi-même, l’acceptation de ses erreurs et de ses maladresses est essentielle pour éviter de basculer dans la culpabilité et de passer du temps et de l’énergie à ruminer le passé. Elle permet de conserver une estime de soi au delà de nos actes et est déjà en soi une étape fondamentale du développement de conscience.

Cependant, cette acceptation de soi peut devenir prétexte à rester là où l’on est : « Je suis ainsi, c’est ainsi, je ne changerai pas ». Or, la personnalité n’est pas une entité solide et figée mais un processus dynamique. La vie nous offre à tout instant des occasions d’évoluer et il est de notre responsabilité d’élargir notre conscience pour que demain soit différent d’hier. Alors que la culpabilité est tournée vers le passé que l’on ne peut modifier, la responsabilité nous invite à changer, ici et maintenant, pour que demain soit différent d’hier.
Comment ? En soignant nos blessures et en apprivoisant nos peurs, nos colères et nos tristesses pour que la vie puisse nous traverser et nous transformer. Il s’agit de s’accepter avec bienveillance tel que l’on est tout en reconnaissant que nous sommes bien plus que cela.
Cette expérience de non-jugement envers soi-même accompagnée de cette confiance dans sa propre évolution sont également les ferments indispensables pour regarder les autres avec bienveillance et les interpeller avec respect.
Par Véronique Guérin

S'abandonner ou se laisser faire : une infime différence...

Dans la vie, et plus particulièrement dans la rencontre sexuelle, on peut faire l’expérience de deux chemins : d’une part la sensation de se « laisser-faire » qui mène à la perte de soi, d’autre part la sensation de s’abandonner, chemin délicieux de la rencontre avec soi, de l’extase divine et de la liberté.
J’ai longtemps confondu ces deux chemins : je me laissais faire en croyant aller vers la conscience et la liberté puis j’ai progressivement fait l’expérience de l’abandon. Aujourd’hui, grâce en particulier au tantra, la différence entre ces deux chemins m’apparaît plus claire… En réalisant que cette confusion était partagée par nombre de femmes, j’ai eu envie de faire part de mon expérience et de mes réflexions sur ce sujet.
Se laisser faire consiste à accepter des caresses, des gestes ou des situations qui ne nous satisfont pas totalement alors qu’on a la capacité de les refuser. Je ne parle pas des situations où une femme se soumet sous la contrainte mais uniquement de ces moments où elle accepte d’être touchée, regardée, prise, pénétrée d’une manière qui va à l’encontre de son désir profond.
Qu’est-ce qui peut expliquer ce déni de soi-même ? D’abord la méconnaissance de soi-même, la peur de mal faire, la croyance que c’est l’homme qui sait, qui est actif et qui initie, croyance en grande partie héritée de la tradition judéo-chrétienne. Cette croyance s’accompagne d’une peur de frustrer ou de blesser l’homme dans son amour-propre, un désir de lui faire plaisir calqué plus sur des modèles masculins que sur sa propre intuition. La femme reste passive et laisse faire l’homme au lieu de s’appuyer sur sa réceptivité. Cette confusion entre passivité et réceptivité conduit au « laisser-faire ». La réceptivité consiste à accueillir la puissance et le désir de l’homme tout en le guidant vers des espaces plus subtils, plus extatiques. Il s’agit de sortir du rail biologique qui pousse à la pénétration et à l’éjaculation pour jouer et danser ensemble dans les étoiles…
Lorsque la femme n’arrive pas à se faire entendre de l’homme, elle abandonne la partie, et n’est plus présente à la rencontre sensuelle et spirituelle. Son corps réagit de moins en moins, signe que ce qui se passe ne lui convient pas,
mais la plupart du temps, l’homme déstabilisé, interprète son immobilité comme une attente et accentue ses efforts pour tenter de la faire réagir. Il cherche les « boutons » susceptibles de l’exciter, ce qui aura pour effet de la fermer un peu plus…. Le malentendu s’installe menant à un cercle vicieux… Les écueils sont nombreux : la femme commence à simuler désir et plaisir, les partenaires cherchent des stimulants tels que l’alcool, la drogue, la pornographie, etc… La femme se déconnecte de sa connaissance intuitive et profonde de la dimension sensuelle et spirituelle. La rencontre sexuelle devient de plus en plus insatisfaisante pour l’un comme pour l’autre.
A l’inverse et de façon paradoxale, s’abandonner consiste à être complètement présent à soi-même et à l’autre. Ce n’est plus l’homme qui pénètre mais la femme qui accueille l’homme en soi, guidée par son sexe, par sa « grotte sacrée ». Elle ne fait rien de façon mécanique ni mentale mais habite complètement son corps qui guide alors la danse. C’est un relâchement profond dans lequel le mental s’estompe progressivement. C’est une danse qui s’improvise à chaque instant, une musique qui se compose à deux, où chacun exprime et reçoit tour à tour... Le feu du désir est nourri de caresses, de paroles, de regards, de soupirs, de vibrations mais aussi canalisé vers des énergies plus subtiles et extatiques par des silences, de l’immobilité, des respirations… La femme ne se « laisse plus faire » mais accueille et guide l’homme en se mouvant de façon féline et joueuse, tendre et profonde… Elle improvise, change le rythme, se dérobe pour mieux surprendre l’homme et creuser avec lui de nouveaux sillons. Lorsque l’homme accepte d’entrer dans cette danse, la femme s’abandonne de plus en plus profondément à l’extase qui s’écoule dans toutes les parcelles de son corps. Elle se sent fondre, disparaître, s’ouvrir à d’autres espaces de conscience. Emplie par le sexe de l’homme, elle se sent divaguer et mourir de façon délicieuse… Le corps, le cœur et l’espace cosmique sont de la partie. Plus rien n’existe que cette conscience de la dissolution, cette disparition du Moi, l’union sacrée dans laquelle l’homme et la femme ne font plus qu’Un, l’ouverture de conscience vers le Divin, la réceptivité profonde à l’Amour et la joie de l’incarnation. L’homme reçoit alors bien plus qu’une simple jouissance physique, il est invité au banquet céleste !
La clef de de l’abandon, voie merveilleuse pour la femme et pour l’homme, repose dans la capacité de la femme à ressentir et vivre pleinement son désir et son plaisir mais également dans la capacité de l’homme à recevoir de la femme… En quelque sorte à s’abandonner ! Finalement ce passage du laisser-faire à l’abandon concerne-t-il juste les femmes ? :-) A méditer !

Photo : Jean-Michel Dutillie